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Une tenue réussie, c'est quoi ?
(Partie 1)
Je veux dire, quand on devait sortir de chez soi au XIXème siècle, c’était plutôt simple. Il y avait tellement de règles qu’une tenue réussie, c’était une tenue qui suivait les règles et l’étiquette !
Et, comme la loi, personne n’était censé ignorer ces règles. Parce qu’il y avait des professeurs pour les rappeler. Les tailleurs étaient les gourous du style. Ils vous disaient quoi faire.
Mais ce n’était pas les seuls. Je pense que les pères et mères de famille transmettaient ce savoir à leurs fils (je parle de style masculin) afin qu’ils ne leur fassent pas honte détiennent eux aussi les codes d’une tenue réussie.
Et ce n’était pas seulement des règles de proportions vestimentaires mais aussi des règles de goût et de couleur : le marron en ville, le noir pour le soir tout ça tout ça.
Sauf que ça ne vous aura pas échappé : ça a changé. On ne va plus chez le tailleur et les pères et mère de famille sont bien en peine de donner des directions claires à leur progéniture.
Si je demandais à mon père de m’enseigner deux trois trucs en style vestimentaire, j’aurais droit à un regard de détresse, un long silence puis à quelque chose du genre : “rah faut pas… faut… jamais porter du bleu avec du noir. Ah ça non…”
Bref une énième règle arbitraire.
Mais je comprends !
Si on disait à celle ou celui qui essaie d’apprendre le piano : “il n’y a aucune règle, appuie sur les touches que tu veux.” Il y aurait beaucoup moins de gens qui sauraient jouer du piano. Il y aurait les autodidactes virtuoses et ceux qui ne savent pas en jouer.
Les règles, c’est précis, c’est facile. Ça a le mérite d’être le chemin le plus court pour maîtriser un sujet.
Les règles ont cet avantage de ne pas devoir compter sur son goût personnel. Ce qui est très pratique quand on n’en a aucun. Donc c’est inclusif.
Mais les règles ont le désavantage de contraindre le libre arbitre et de pousser à l’uniformité.
Si tout le monde avait toujours suivi les règles, on n’aurait pas inventé l’électricité et on en serait resté à la photographie noir et blanc car selon les vieux de la vieille maîtres de l’époque c’était ça la véritable noblesse de l’art photographique.
Personnellement je trouve qu’il y a beaucoup de plus de bénéfices à l’absence de règles qu’à leur présence.
Pas d’inquiétude, les photos arrivent. ;)
Mais alors, s’il n’y a plus de règles, qu’on peut mettre plus de trois couleurs, qu’on peut aussi s’habiller au rayon femme, si Dieu n’existe plus et que Dumbledore meurt à la fin, comment on sait si une tenue est réussie ou non, bordel ? Si tout est laissé à notre propre jugement alors peut-on encore faire des fautes de goût ?
Tant de questions et si peu de newsletters dans une année. Enfin 52 quand même ! Et gratos d’ailleurs. Ça me fait penser.
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💘 sur vous.
Ça veut dire quoi une tenue “réussie” ?
Je pense qu’il faut commencer par parler du mot “réussir”. Je n’ai pas voulu parler de “bonne” ou “mauvaise” tenue parce que ça implique trop fort le goût personnel.
Soyons clairs : certaines règles doivent subsister. Parce que sinon on s’arrête là et on se dit que le baromètre de la réussite d’une tenue, c’est son opinion personnelle.
Et c’est cool que la réussite d’une tenue ne dépende que de son for intérieur mais du coup, ça fait que tout est égal par ailleurs et ça ne fait pas avancer le débat. Il n’y a plus d’échange. Parler de fringue devient stérile. Alors autant ne plus en parler.
Donc il faut bien, je pense, un fond commun de quelques règles.
Mais, cependant, or et en revanche…
…ces règles essentielles indiscutables (mais discutables quand même comme toute règle au fond) ne peuvent être des règles de goût.
Et sur cette base d’éléments objectifs, on superpose des éléments subjectifs propres à chacun.
Donc une tenue réussie, c’est une tenue qui est objectivement et subjectivement harmonieuse.
Une tenue objectivement harmonieuse
Je pense qu’il faut remonter à la question derrière toutes les questions : à quoi servent les vêtements ?
Certains, au Cap d’Adge, semblent se poser la question de manière rhétorique mais là je la pose véritablement sur la table. (Jeu de mots clairement intentionnel.)
Ma première réponse, c’est : pour contrer les éléments.
1. Contrer les éléments
S’il neige et que vous êtes en tongs. Échec direct.
Il semble que l’adaptation de la tenue au contexte est donc le premier élément. Merci d’enfoncer la porte ouverte, vous me direz peut-être. Mais parfois il faut dire des évidences pour faire triompher le sens. Bim, prends ça le disrupteur de la pensée.
Voilà, maintenant qu’on surfe ensemble sur une belle vague d’évidence, on va gentiment s’engouffrer dans le rouleau du lieu commun.
2. Valoriser le corps
Avant le style, il y a la donnée physique. Toutes les formes de vêtements ne peuvent habiller tous les corps. Donc une tenue réussie, c’est aussi avoir des vêtements dont la coupe flatte votre corps à vous et rien qu’à vous.
Ce n’est pas seulement mettre les vêtements qui correspondent à sa morphologie. C’est chercher grâce aux vêtements à composer une autre forme de corps : gommer ce qui détonne, valoriser ce qui flatte ou ne rien faire que doubler la peau.
Là, on pourrait entrer dans les détails de tous ces mécanismes esthétisants, remettre en cause la conception moderne de la silhouette (la recherche du V, l’allongement des jambes…) et voir ensemble qu’il ne s’agit que d’une interprétation de plus, d’une convention communément acceptée dans notre région du monde mais laissons ça pour plus tard.
Mais je trouve quand même qu’il y a certains critères objectifs principaux (ou plus ou moins) qui sont plus susceptibles de donner une tenue réussie :
Les jambes paraissent plus longues que le tronc
Les pieds ne détonnent pas dans la silhouette (ils n’apparaissent pas comme proéminents ou inexistants)
Les épaules et la tête ont des proportions harmonieuses (la tête ne paraît pas immense par rapport à la carrure par exemple)
Le corps est équilibré dans son ensemble : pour un corps dont le tronc est imposant mais les jambes fines, l’idée est d’épaissir visuellement les jambes pour entrer en harmonie avec le tronc. Comme notre ami Doug Bihlmaier ci-dessus.
Le vêtement ne contraint pas le corps en révélant toute sa réalité nue, il se tient à une distance suffisante qui lui permette de réinventer sa forme.
Voilà pour les grandes lignes d’une silhouette réussie grâce aux vêtements. On va passer de la théorie à la pratique : j’analyse la tenue que je porte alors que j’écris cette newsletter.
Je précise que ce n’est pas prémédité.
Casquette Manzi&Co, pull Margaret Howell, pantalon BonneGueule, mocassins Paraboot
Je porte un pantalon cargo taille haute qui allonge mes jambes et qui est droit avec du volume, suffisamment pour que mes chaussures ou mes cuisses plus larges ne paraissent pas disproportionnées. Mon pull suit les lignes de mon corps sans les contraindre. Il n’est pas trop ajusté par rapport au volume du pantalon. Ce pull est à col cheminée donc remonte un peu sur le cou pour le raccourcir car il est assez long chez moi.
Donc je peux dire que ma tenue est réussie. Ou en tout cas, elle valorise mon corps comme je l’entends.
3. S’harmoniser avec le contexte social
Ok. Nous sommes des êtres sociables. Nous nous inscrivons dans un contexte social qui répond à des codes. Et ces codes touchent directement notre manière de nous habiller.
Même si désormais, on peut venir à un mariage sans cravate (ça dépend du mariage), il y a encore des éléments qui déterminent la réussite ou l’échec d’une tenue selon le contexte social.
Ce sont des choses évidentes comme ne pas venir en jogging à un enterrement, une tenue négligée pour un entretien, des vêtements sales toujours et partout et autres pratiques qui tombent sous le sens.
Vous connaissez ça par cœur je pense. J’en reste là.
Des tenues “objectivement réussies”
Et les éléments subjectifs qui font qu’une tenue est réussie alors ?
Il y a beaucoup à dire. Et j’ai des choses à dire.
Tout cela est de la théorie et on verra dans le prochain article (la prochaine newsletter) que le goût personnel peut aussi faire fluctuer ces règles de base. Comme nous le montre l’incroyable Nicolas Chalmeau :
Bisous,
Jordan