Le collier de la discorde

Elle me regarde. Je la regarde.

“Ça fait bizarre…” elle me dit.

“Ah bon pourquoi ?” je demande.

“Je sais pas… c’est… bizarre.”

Faut dire que je me présente à elle avec un collier de perles autour du cou. Une partie est sous le t-shirt. Mais même avec ça, elle l’a remarqué à peine entrée dans la pièce.

Je sens bien à sa réponse et à l’expression de son visage que ça ne lui plaît pas. Si je lui disais que j’allais l’enlever tout de suite et ne plus jamais le mettre, elle serait soulagée.

Pourtant, je n’en ai pas l’intention. Et elle le sait très bien. Elle m’a vu trop de fois porter des choses qui lui faisaient “bizarre” au début et auxquelles elle s’est habituée à la longue.

D’ailleurs, elle ne cherche pas à me le faire enlever. Elle exprime simplement quelque chose de viscéral. Sans filtre. “C’est bizarre.”

On a communément un problème avec ce que les hommes peuvent et ne peuvent pas porter.

Et j’ai l’impression que le collier de perles équivaut à porter une jupe ou des talons hauts.

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That 70’s Show - Ashton Kutcher

Il n’y a pas si longtemps, c’était le rose. Et peut-être même que c’est encore le cas selon là où vous vivez. Quand on mettait du rose, on nous vannait sur notre orientation sexuelle.

(Et quand je dis “on” c’est toujours des hommes qui ont une définition arrêtée de la masculinité ou alors ceux qui en sont encore au stade où ils façonnent les contours de leur masculinité.)

Et je ne sais pas bien comment on y est arrivé mais le rose pour les hommes ne semble plus aussi problématique aujourd’hui qu’il l’était jadis.

Est-ce que c’est parce que les rugbymen se sont appropriés cette couleur (je pense par exemple au Stade Français qui l’adopte en 2006) et qu’on ne saurait questionner leur virilité ? Est-ce que c’est parce que des blogs, médias, créateurs et créatrices de contenu ont réussi à changer un peu les consciences à force de travailler dans cette direction ?

Peut-être un peu des deux.

Season 4 Sport GIF by Friends

Red Ross

Mais on a encore du chemin à faire.

Je suis là avec mon collier de perles et je vois dans les yeux de ma compagne tout ce chemin. Même venant d’une personne aussi évoluée qu’elle sur les questions de genre et d’expression personnelle.

Alors est-ce que c’est que ce collier est tellement empli de féminité (d’une certaine féminité d’ailleurs, celle qui est mondaine, si sophistiquée et raffinée) que c’est pour elle insoutenable de voir son compagnon avec, car ça laisserait planer un doute sur son orientation sexuelle ou juste ça enverrait un message à autrui et donc viendrait la questionner elle sur sa propre orientation sexuelle ou simplement ses goûts en matière d’homme ? Ou bien est-ce simplement qu’elle n’a pas l’habitude de voir sur moi des bijoux aussi hors du commun ?

Peut-être un peu des deux.

Vous me connaissez : je pense que réserver certains accessoires, certaines couleurs, certaines matières et manières de porter certaines pièces etc. n’a aucun sens.

Et j’irai même plus loin : j’ai toujours du mal à comprendre que certaines personnes de mon entourage parmi les plus éduqués et intelligents que je connaissent freinent des deux pieds quand il s’agit de porter quelque chose que la collectivité idiote et sans visage considère comme l’apanage des femmes (en l’occurrence).

Peut-être parce que, précisément, ça n’a rien à voir avec l’intelligence ou l’éducation mais plutôt avec la transparence avec laquelle on peut lire en soi.

Je pense que c’est ceux qui se connaissent le mieux qui sont capables de porter quelque chose d’aussi tendancieux qu’un collier de perles alors que tout indique qu’on ne peut pas, car on est un homme.

Après, il ne faut pas se voiler la face : porter un collier de perles ne me serait probablement pas venu à l’esprit :

  • si la communauté gay, justement, n’en portait pas déjà depuis des années (j’ai tendance à penser que c’est elle qui ouvre la voie de certaines tendances que les hommes porteront demain car elle ose davantage puisque précisément, elle n’a aucun problème avec ce qui serait considéré comme “trop féminin”) ; Je précise que c’est une tendance qui existe depuis 2021 et même avant avec Harry Styles qui en portait en 2020.

  • si je n’évoluais pas dans un monde où il est vital d’outrepasser les règles. Puisque c’est ma ligne éditoriale également, c’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre-vous me suivent ;

  • si je ne voyais pas régulièrement Boras en porter ;

  • si A Kind of Guise ne l’avait pas présenté dans un (ou plusieurs) de ses lookbooks.

Bref, l’influenceur s’est fait influencer.

Et ce n’est pas une mauvaise chose.

Quand j’y pense, pour moi, le collier le perle, c’est exactement comme les foulards en soie étaient quand j’ai commencé à les porter. Maintenant, ils me paraissent aussi naturels que de porter un t-shirt blanc.

Et peut-être que ce sera aussi le cas pour le collier de perles.

D’ailleurs je le dis là : quand je l’ai mis pour la première fois, il ne m’a pas paru ridicule du tout. À aucun moment. Il était là sur mon cou, il vivait sa petite vie et moi je souriais de le voir là où il était.

Comment ce collier de la discorde est arrivé dans ma vie

Un peu comme avec mon pantalon de charpentier fait avec Thomas de Not Too Ballsy, c’est une personne que je ne connaissais pas qui m’a abordé.

Léo étudie en Master Mode et Matière aux Arts Décoratifs. Il a bossé chez Bode (le veinard 😍) sur du développement produit.

En dehors de ses études, il ne tient pas en place et mène à bien beaucoup de projets : développement de produits et développement créatif.

Confectionner des colliers de perles en est un. (C’est sa coloc, quand il était en stage à New York (pour Bode j’imagine) qui lui a appris à bien travailler les perles.)

Allez voir sur son compte, c’est le plus parlant.

En substance, il m’a dit “coucou, ça t’intéresse un collier de perles ?” J’ai répondu “coucou, évidemment.” Il m’a dit “coucou, pour 80€ je te fais celui que tu veux, ça te va ?” J’ai dit “arrêtons avec les coucous et faisons-le ce collier de perles !”

Voilà la bête :

En dessous, la belle matière, c’est la veste Tim en coton texturé d’Octobre Editions.

Il est fait au fil de soie avec un montage traditionnel noué. C’est-à-dire qu’entre chaque perle, il y a un petit nœud évitant qu’elles ne se frottent l’une à l’autre et qui permet au collier de mieux se courber.

Le fermoir et la boucle sont en acier inoxydable et, pour finir, ce sont des perles de culture (donc des perles produites naturellement par des huîtres ou des mollusques).

J’aurais pu aussi choisir des perles irrégulières, très wabi sabi dans l’âme. Mais j’ai préféré aller vers plus de régularité dans les perles, bien qu’elles soient toutes différentes.

Donc disons que j’ai opté pour une irrégularité maîtrisée.

Les perles irrégulières proposées par Léo.

J’ai pu choisir la longueur du collier (55cm si je ne dis pas de bêtise), l’aspect des perles donc (avec en plus la couleur de celles-ci (uniformes ou de couleurs différentes)) et la finition de l’attache (argentée ou dorée).

Tout le matériel utilisé par Léo pour confectionner le collier.

Les perles de couleurs différentes.

Un grand merci Léo d’avoir frappé à ma porte pour me proposer un collier de perles. Tu as fait entrer dans vie un nouvel élément disruptif. Et juste de voir le regard perplexe de ma compagne valait le coup ! 😅

Et vous, c’était quand la dernière fois que vous avez porté quelque chose de considéré comme exclusivement féminin par tout le monde (ou presque) ?

Allez, la bise appuyée,

Jordan