Vous êtes mortels.

(Et moi aussi)

Oui, ça a quelque chose à voir avec la chose vestimentaire. Pour tirer le fil de la réflexion, je commencerai par une question : quel est ce feu commun qui brûle en chaque sapeur de cette planète ?

Soyons honnêtes.

On a de moins en moins d’occasions de s’habiller et pourtant ce feu ne s’éteint pas. Dans le monde post-pandémie, c’est à se demander si l’Homme est encore un animal social.

Le confort aurait dû tuer notre envie de nous habiller. Aller au cinéma ? Non, regarder Netflix. Aller en concert ? Non regarder YouTube. Aller à l’opéra ? YouTube encore. Aller au restaurant ? Hum… plutôt se faire livrer. Aller dans une librairie ? Amazon.

Les occasions manquent pour s’habiller. Et même quand elles sont là, on n’obéit plus aux mêmes règles qui veulent qu’on porte un smoking à l’opéra ou un chapeau dans la rue. On a tué ça. Ça nous embarrassait. Tout ça pour s’habiller exactement comme on veut. L’individu contre le groupe.

Et apparemment, ce qu’on veut, c’est un t-shirt et un jogging.

Oui mais non.

Si vous êtes là, que vous lisez ces lignes, c’est qu’il vous semble que le jogging ne peut pas l’emporter. On peut le laisser entrer de temps à autres dans nos vies. Le temps de quelques flexions de genoux. Mais au fond de vous, vous savez quelque chose que d’autres ignorent, c’est peut-être votre goût qui parle après tout ou une intuition qui dort quelque part en vous : vous savez qu’il s’accorde mal avec le caractère sacré de la vie.

Vous êtes mortels.

Ça ne vous est jamais arrivé de vous rendre compte que vous étiez en vie ? Vraiment je veux dire. Comme si vous ne le saviez pas vraiment avant ça. Comme une vague de conscience qui vous submerge, une liquide de vérité qui remplit tout votre corps, centilitre après centilitre et qui vous fait frissonner l’échine car vous savez que vous touchez là le caractère accidentel de votre présence sur Terre.

Combien de chances pour que vous naissiez vous ? Que de ce Kamasutra géant de matières, de poussières d’étoiles, de flux migratoires, de guerres, de coup de chances et de malchance, d’un spermatozoïde qui s’était levé avec l’envie d’enfin gagner, que de toute cette géniale confusion de coïncidences inouïes VOUS en surgissiez.

C’est prodigieux d’être en vie. C’est un fantastique, émouvant et hasardeux accident que vous soyez là pour lire ces lignes et moi pour les écrire.

La vie est une fête. Bien s’habiller, c’est bien la fêter.

Et ceux qui pensent que les fringues sont superflues n’ont pas conscience de cela. Ils ne voient dans le vêtement que sa qualité de protection, le fait de recouvrir une peau et ne comprennent pas ce qu’il y a après l’étoffe : toutes ces histoires passées et toutes celles qui restent à dire. Et je trouve que c’est d’une tristesse infinie. Bien s’habiller, c’est penser la vie d’une certaine manière, comme une chance, comme la plus grande des occasions.

Ça devrait suffire, non ?

Et les conséquences de tout cela, c’est que :

  1. Chaque moment est une occasion. Chaque moment mérite qu’on s’habille en faisant l’effort d’une tenue à la hauteur du moment.

  2. Il est nécessaire de se créer des occasions de bien s’habiller : aller à la rencontre du monde qui nous entoure et mettre une tenue élaborée calibrée pour ce qu’on va vivre.

  3. Il faut voir les occasions les plus banales comme une opportunité de dire quelque chose de nouveau avec ses vêtements.

Comment vous vous habillez quand personne ne regarde ?

Bien sûr que le regard d’autrui ne doit pas être la seule raison qui nous pousse à nous habiller. Car alors, quand plus personne ne regarde, la tenue tombe et le style aussi.

Mais je pense qu'il faut utiliser le regard d’autrui comme un détonateur. Parce que, soyons honnêtes, parfois, il nous faut un coup de pied là où vous savez. Juste pour nous mettre en branle. Quand on a oublié que la vie était une fête parce qu’on s’est réveillé 3 fois dans la nuit pour aller consoler son enfant ou qu’on filtre les appels de la banque ou que la vie n’est pas exactement aussi douce que le Clair de Lune de Johann Debussy.

Parfois, le regard des autres nous est utile pour nous remettre en scène. Alors oui, comme je le dis et le répèterai, il faut s’habiller pour soi, justement parce qu’il faut célébrer le caractère exceptionnel de sa propre vie et puiser toute la confiance qu’on peut dans la matière textile MAIS on peut aussi célébrer le caractère exceptionnel de la vie d’autrui ? Ces yeux qui se posent sur nous sont aussi exceptionnels que les nôtres qui les voient.

Vivre oui. Mais vivre seul, non.

S’habiller pour soi oui. Mais ne pas laisser autres en être les témoins, non.

S’exprimer toujours avec le vêtement oui. Mais ne pas le partager avec les autres, non.

Ainsi, quel est ce feu commun qui brûle en chaque sapeur de cette planète ? Je pense que c’est la conscience incandescente de la fragilité de la vie, allumée avec l’étincelle du regard d’autrui.

Voilà pourquoi il est si important de s’habiller avec intention.

La bise,

Jordan

La photographe en action. Et après, ses œuvres.