J'aimerais vous parler d'un pantalon spécial

Vous êtes du genre à embrasser les tendances ? Ou vous y êtes totalement hermétique ?

Dans les deux cas, on peut aussi comprendre que les tendances sont des dynamiques puissantes. Et que c’est une erreur de croire qu’on peut y échapper.

Sauf si, par posture et en toute conscience, on se pose en contre.

Que je le veuille ou non l’ampleur (parfois excessive) est une tendance. Tendance qui s’essouffle d’ailleurs. Enfin c’est ce qui se dit dans le milieu. Paraît que le skinny revient.

“Over my dead body”, comme ils disent dans les films.

Et tendance ou pas, je sais que l’ampleur est bonne pour ma morphologie et mon style. Même si je sais aussi qu’au-delà d’une certaine ampleur, cela devient de la tendance.

De mon côté, je ne suis pas hermétique aux tendances. Je trouve qu’elles viennent donner du dynamisme à mes tenues. Qu’on se sent aussi faire partie d’un mouvement et ne pas faire constamment cavalier seul.

Je trouve que c’est ok de s’attacher à quelque chose d’éphémère. Tant qu’on le sait. Tant qu’on ne cède pas à toutes les tendances comme une girouette de surconsommation.

Je choisis les tendances que je veux suivre. Celles qui font écho à la manière dont je m’habille.

Instagram ou TikTok peuvent m’avoir à l’usure mais si je cède à une tendance, je le fais en toute conscience.

Et du coup, je m’en sers comme d’un outil supplémentaire à ajouter à mon jeu de styles.

Par exemple, c’est comme ça que j’ai adopté les sabots Boston de Birkenstock (je n’en ai qu’une paire à l'heure actuelle mais j’en veux d’autres, peu m’importe si la tendance est passée).

Et c’est comme ça que Thomas Cousin m’a abordé sur Instagram le 20 janvier 2024 à 15h44.

Ça faisait un moment que les carpenter pants me tentaient. Depuis que je les avais vus sur Daniel Day-Lewis et qu’ils inondaient TikTok.

Gauche: New York City, 28 May. Photograph by Goff Photos. Centre: West Village, New York, 10 October. Photograph by Splash News. Droite : Manhattan, New York, 7 December. Photograph by Photoshot

D’ailleurs j’en avais parlé dans ma vidéo sur 5 pantalons pour booster votre style.

Donc quand Thomas m’approche en me parlant de créer ensemble un tel pantalon, je ne réfléchis pas deux fois. Je ne réfléchis pas du tout d’ailleurs. Je lui dis “tope-la”.

En voyant ce qu’il fait avec sa marque Not Too Ballsy, je saisis qu’on peut faire une petite bombe à deux jambes.

Sauf qu’il ne sait pas bien dans quoi il s’embarque le Thomas car, si je m’appelle Jordan, je suis aussi connu comme “Monsieur Plus” (surnom affectueux que me donnait Christophe, ex-rédacteur-en-chef de BonneGueule).

En clair, je repousse toujours les limites. J’ajoute. Je suis rarement satisfait par ce qui vient tout de suite.

Mais je sais me mettre sur off aussi. J’aime croire que je distingue quand c’est juste du mauvais perfectionnisme. Peut-être que je me voile la face. 😅

Bref.

Très vite, ça parle de la coupe. Parce qu’avant tout : avant le design, la matière… si la coupe est foireuse, le pantalon est foireux.

Je préfère un pantalon coupé qui flatte la silhouette dans une matière moyenne, qu’un pantalon avec une matière exceptionnelle dans une coupe moyenne.

Directement, on s’entend bien avec Thomas : coupe droite / gros gros leg opening.

(Le leg opening, dans le jargon du vêtement, c’est l’ouverture de jambes, c’est-à-dire le diamètre du trou par lequel sortent vos pieds. Et ça fait énormément dans l’architecture d’un pantalon.)

Mais subitement, quelque chose coince.

Thomas vient du skate et dans ce milieu, on porte les pantalons bas. Et moi je viens de…… je sais pas bien d’où je viens mais je ne porte pas de taille basse. Voilà la coupe qu’il me propose :

Vous voyez, il a noté “taille basse / moy” à gauche. Mais on peut voir aussi que la mesure de la fourche (donc la valeur de tissu allant de la ceinture à l’entrejambe) est de 36,5 cm…

Et ça ne correspond pas à une taille basse/moyenne selon moi.

C’est seulement que lui, qui vient d’un milieu skate, le porte bas sur les hanches, alors que moi, je le porte plus haut juste sous le nombril.

Bref, en fait, une fois de plus, on est raccord.

On parle tissus. Et là aussi, c’est intéressant.

Vous voyez, Thomas n’utilise que des tissus deadstock de grandes maisons de luxe. Ça évite qu’ils ne soient gaspillés. Ça me parle. Et en plus ce sont des tissus remarquables. Ça me parle doublement.

Pour moi qui viens de l’école BonneGueule, ça ne peut que m’émoustiller.

Rapidement, j’opte pour le denim vert Jil Sander, pour plusieurs raisons :

  1. J’ai dans la tête un carpenter pants vert depuis le début et je ne lutte pas contre cette intuition (même si je sais que j’ai un fatigue pants vert que ce nouveau pantalon va venir cannibaliser).

  2. Ce tissu pèse 13oz, ce qui est idéal pour moi car suffisamment de tenue tout en pouvant se porter la plupart de l’année.

  3. Je ne connais rien de Jil Sander. Mais je sais une chose : Joel Meyerowitz, photographe américain que j’adore, a shooté la campagne d’Automne/Hiver 2021. Ça n’ajoute rien, techniquement, à notre affaire mais désormais cela transcende le tissu, cela commence à raconter une histoire.

  4. J’ai dans l’idée que ce tissu va être un peu crispy et ça excite ma curiosité (spoiler : c’est le cas).

Jil Sander par Joel Meyerowitz - A/H 2021

Voici le tissu :

Pas le denim plat habituel. La couleur en réalité est plus verte qu’elle ne paraît ici.

Nouvel échec, nouvelle opportunité

Je demande s’il peut mettre des rivets en cuivre pour coudre le double-knee à la sauce workwear.

Pour expliquer cette histoire de double-knee :

Je me rends compte que je n’en ai pas du tout parlé mais avant d’être à la mode, c’est un pantalon de travail, dont le design répond à un besoin précis (et pas pour être le plus beau sur le chantier !).

Le double-knee fait référence à la pièce de tissu rapportée sur le devant des deux jambes. Elle est là pour renforcer pantalon à cet endroit car ultra sollicité par les charpentiers qui posent souvent le genou à terre.

Donc je demande pour mettre des rivets aux bords de cette pièce rapportée (comme c’est traditionnellement) mais problème, il n’a pas la machine.

Comme quoi Monsieur Plus, il sait s’adapter aussi !

Et puis à un moment, j’ai eu une petite épiphanie.

Comme on ne pouvait pas faire de rivets mais que je voulais quand même mettre en valeur ce double-knee, je me suis dit qu’on aurait qu’à faire des coutures contrastées écrues, de biais, aux angles, un peu comme la fameuse étiquette de Margiela. Et le reste des surpiqûres serait ton sur ton.

L’inspiration :

La réalisation :

Et c’est là que…

…dans mes heures perdues (pas si perdues que ça) à scroller sur les réseaux sociaux, je suis tombé sur Jung qui me disait que mon jean était nul selon lui :

Grand frisson le long de la colonne.

Ni une ni deux, j’envoie la vidéo à Thomas et lui dis : je veux ça.

Il est sur la même longueur d’ondes.

S’ensuit une série de vocaux que je vous résume ici : “ah mais ouais génial ! on pourrait faire (idée 1) et sinon (idée 2) !!!! Et puis si ça se trouve, ça rendrait vraiment bien de (variation de l’idée 1 avec un soupçon de l’idée 2 résultant en une idée 3) !!!” Etc.

Très vite, il m’envoie un croquis :

Et le 13 février, il avait cousu la V1 du pantalon dans une toile permettant de voir la coupe.

Les fameuses poches faciles d’accès à l’arrière.

Les poches arrière en plan rapproché. Avec son ajout de designer :
une poche sur la poche.

Et maintenant sur le pantalon fini :

Ensuite, on ajuste, retravaille. Il fait chauffer la machine à coudre et enfin, le 25 février 2024 à 13h10, il me dit :

Et voilà la bête :

C’est une expérience extraordinaire de travailler comme ça, main dans la main avec Thomas. Je pense qu’on a réalisé quelque chose dont on est fiers tous les deux, quelque chose qui entre dans nos univers respectifs, sans trahir ni l’un ni l’autre.

Ce pantalon, il me l’a gentiment offert mais je n’ai pas été payé pour en faire la promotion. Je le précise car c’est important.

Bientôt, vous le verrez apparaître dans un “get ready with me” comme on dit dans le milieu des réseaux sociaux. Et sinon, vous pourrez le voir très régulièrement dans les rues de Bordeaux, passer sur un vélo cargo ou bien sur une chaise en terrasse (c’est rare mais ça arrive).

Dites-moi ce que vous en pensez, j’ai hâte d’avoir vos avis !

À bientôt les amis,

Jordan